Général Trading Company (GTC) comme son nom ne l’indique pas, cette entreprise s’est spécialisée dans la production d’huile de palme brute. La particularité de cette exploitation est qu’elle est implantée en savane. Dès lors, pas de déforestation, bien au contraire : l’empreinte carbone du site est positive. Visite de l’exploitation avec ses deux dirigeants, Michel et Arnaud Djombo, sur la route de Maloukou, au nord de Brazzaville.
Tout est parti sur coup de tête. Il y a quelques années, le ministre de l’Environnement Henri Djombo (aujourd’hui devenu ministre de l’Agriculture) veut prouver qu’il est possible de produire de l’huile de palme en savane, et non en forêt, comme c’est souvent le cas. Il plante alors quelques palmiers sur un domaine familial près de Brazzaville, une ancienne ferme laitière d’Etat un temps tenu par les Cubains (lire ci-contre). L’expérience est concluante. Mais il ne voulait pas en faire une activité commerciale. « Quand on a vu que ça fonctionnait, on a voulu en exploiter le potentiel », se souviennent ses deux fils, Arnaud et Michel.
Les deux hommes d’affaires veulent à cette époque quitter leur secteur des services pour se lancer dans l’agriculture. Ils reprennent alors l’activité, avec l’idée d’en faire une exploitation maraîchère pérenne. Ils embauchent, achètent les terrains alentours, et défrichent leur exploitation. Le domaine se métamorphose. « On s’est fait happer par cette activité, on ne pensait pas y mettre tant d’énergie », raconte Michel.
Ses 1 500 hectares sont désormais en partie limités par des forêts d’eucalyptus. Des pistes mènent aux plantations, encore éparses. Un entrepôt et un hangar d’extraction d’huile sont sortis de terre, non loin de la route goudronnée. Les bâtisses de l’ancienne laiterie, rénovées, servent aujourd’hui d’habitations aux employés et à leur famille. L’exploitation donne à voir une vie de village, entièrement tournée vers l’huile de palme.
Engrais naturels
Par rapport aux grands domaines en forêt, leurs palmiers produisent 10 tonnes de moins d’huile par hectare. Mais les coûts de plantation et d’entretien sont jusqu’à huit fois inférieurs en environnement de savane : jusqu’à 6 500 euros par hectare en forêt contre 800 euros sur le domaine de la Général Trading Company (GTC). Il n’y a pas d’arbres à couper, et la savane demande moins d’entretien au quotidien. Sans oublier un coût de transport moindre, puisque la plantation est située à quelques kilomètres seulement de Brazzaville.
L’utilisation des engrais constitue un autre point de différence. La composition des sols en savane fait que les doses à utiliser sont plus importantes qu’en forêt. Comme les produits sont coûteux à utiliser, il s’agit d’être économe sur leur utilisation. Les équipes plantent à proximité des palmiers le mucuna, une légumineuse qui chasse les mauvaises herbes et produit des engrais naturels. Des techniques que les dirigeants de l’exploitation ont dû apprendre par les lectures, les visites de fermes à l’étranger, les séminaires. « On a appris en faisant des erreurs », raconte Michel Djombo.
L’une d’entre elles a été le maïs. L’exploitation est petite. Les premiers rendements des palmiers demandent du temps, au moins trois ans. Il faut donc une source de revenus sur le court terme, et développer une culture complémentaire. Parfois, elles fonctionnent, comme l’aubergine dans le passé, ou l’ananas et le charbon de bois d’eucalyptus. D’autres fois l’expérience est moins concluante, comme avec le maïs, qui n’arrivait pas à concurrencer les produits importés, plus compétitifs. « Le produit était d’une qualité trop pauvre pour être rentable », analyse avec le recul Fabrice Ngoran, le chef d’exploitation.
« Il se passe quelque chose dans l’agriculture »
Fabrice, Ivoirien d’origine, fait partie des meilleurs investissements de la GTC. A en croire Michel et Arnaud Djombo, son arrivée, il y a deux ans, constitue un jalon dans l’histoire de l’entreprise. L’ingénieur agronome a déjà une expérience dans l’huile de palme. Il la met au service de ses patrons, leur fournit les chiffres dans les moindres détails, ce qui permet aux frères de laisser la gestion quotidienne pour s’occuper de la stratégie à long terme. Il forme aussi le personnel local, enseigne ses techniques et augmente les cadences.
L’objectif de la GTC est à terme d’utiliser 1 200 hectares de plantation, et de se lancer dans la production de savon. « Pour cela, il nous faudrait 2 000 hectares de plantation d’huile de palme. » Soit plus que leur domaine. La solution est d’inciter d’autres producteurs à planter des palmiers sur leur domaine, donc de prouver que leur modèle est le bon.
« On sent que quelque chose bouge dans l’agriculture, analyse Michel. De plus en plus de gens sont intéressés. Mais si tout le monde se lance de son côté dans des petites exploitations, ils se casseront les dents. Il faut se coordonner. » L’une des difficultés est de trouver les financements nécessaires. « Même pour nous, c’est difficile, regrette le directeur général.Quand une banque voit un ingénieur en informatique rechercher des fonds pour une exploitation agricole, ça fait peur. »
Il faut dire que l’agriculture inquiète plus qu’elle n’attire au Congo. En 2014, la part du secteur dans le PIB était de 4,8%, selon la Banque mondiale. Investir dans l’agriculture, c’est aussi aller contre une culture. « C’est un héritage colonial, expliquent les frères. Brazzaville était la colonie administrative de France. Alors que les Camerounais, par exemple, étaient incités à cultiver. Culturellement, la réussite au Congo consiste donc à travailler dans un bureau et non dans un champ. On se bat contre cette idée. » Jusque dans leur famille. « Il y a peu, ma fille de 8 ans disait à tout le monde que j’étais fleuriste, rigole Michel. Mais elle commence à comprendre que c’est un peu plus compliqué que cela. »
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